
Pedro est un grand homme de 73 ans: Sa barbe, blanchie par les années tranche avec ses gros sourcils noirs ébouriffés. Un béret vert décousu vissé sur la tête et un blouson de fourrure du style militaire, on pourrait penser aux premiers abords à avoir affaire avec un ancien guerillero de la révolution cubaine, réfugié dans les tréfonds du nord-ouest argentin. Il n’en n’est rien, et si ce natif de la région des lacs vit reculé dans la montagne à plus de 2 heures de marche du premier hameau, c’est bien par choix.
Ca fait 3 ans maintenant qu’il s’est exilé dans une vie d’ermite et quinze jours seulement que sa maison, en terre et en bois, est terminée. Avant? Il dormait dans un arbre certainement pour communier davantage avec la nature et son environnement local qu’il connait, à force d’observations, presque sous toutes les coutures. Donner des noms scientifiques aux oiseaux ou aux plantes ne l’intéresse pas, mais il sait différencier chaque espèce (sauf les colibris, allez savoir pourquoi!)

Il vit avec ses deux chats et ses rituels quotidiens, la ballade matinale entre 4 et 8 kms selon la forme et l’humeur, l’ironie de sa vie veut même qu’il ait planté un piton dans une roche pour pouvoir descendre encordé une marche de 3 mètres de haut, afin d’accéder à un magnifique point de vue, bien avant qu’il ait commencé à creuser les fondations de sa maison. Il nourrit également chaque matin et chaque soir quelques renards des environs avec des croquettes pour chien achetées en ville avec l’argent de sa retraite. Il les appelle, ils viennent sur la pointe des pattes en restant toujours farouches mais avec le temps, il finit par connaître toutes les histoires de la famille, des nouvelles portées aux exils de chaque renardeau, qui finissent par revenir un jour avec un nouveau conjoint…

Pedro raconte ses histoires avec les yeux qui brillent, avec un maté aussi à partager et avec une cigarette bien souvent coincée au coin du bec. Son dernier vice aujourd’hui nous a-t-il dit, avec le bon vin évidemment. Il n’aime pas la feuille de coca comme ses compatriotes de la province, pas plus que la marijuana malgré ses 25 années passées à El Bolsòn, une ville historique au nord de la Patagonie, formée par une communauté hippy ou règne encore aujourd’hui une ambiance des plus baba-cool. Il y gagnait sa vie en plantant des pins. Avant cela, il travaillait en été dans un refuge d’altitude sur les hauteurs de Bariloche, aux côtés du premier guide de Haute Montagne argentin, diplômé il y a 70 ans à Chamonix.
La France il la connaît bien, son histoire aussi, on l’excusera quand même d’avoir décalé de trois petites années la date de notre révolution! Il a voyagé plus jeune à Nancy, et dans les pays voisins jusqu’au Danemark où il a vécu plusieurs mois. Il se moque d’ailleurs gentillement de ce peuple fier de leur Mont Himmelberg, point culminant du pays à 174m au-dessus du niveau de la mer… Sa cabane avoisine les 2000m!
Sa mère d’origine allemande, il voue une grande estime à cette langue qu’il a pratiqué de manière sommaire durant toute sa vie. Aujourd’hui, il pense en allemand en cherchant les mots qu’il ne connaît pas dans son dictionnaire bilingue posé à côté de son lit. Il estime d’ailleurs ne l’avoir jamais parlé aussi bien, alors qu’il ne s’en ait plus servi à l’oral depuis plus de 20 ans! Son autre livre de chevêt, le dictionnaire de la langue espagnole où il aime chercher quotidiennement des nouveaux mots et lire les noms propres connus ou inconnus. Il travaille par la même occasion son orthographe, son point faible dans sa jeunesse et qui s’améliore aujourd’hui. Un regret dans sa vie comme celui de n’avoir jamais appris à jouer de la musique, mais il apprendrait volontiers le piano aujourd’hui (et le français en 3 jours, s’il le fallait pour les yeux d’une jolie fille)
Il garde contact avec ses 4 fils, ses 15 petits-fils et son arriere petit fils par courrier postal qu’il reçoit à l’adresse d’une de ses amies à Cafayate, la ville la plus proche (1 heure de route depuis sa cabane) et les reçoit chez lui pendant les vacances scolaires.

Nous avons rencontré ce Pedro par hasard, en marchant en dehors des sentiers battus de la quebrada de Cafayate, alors qu’il lavait son linge à la rivière. Il nous a invité à passer la journée du lendemain chez lui, où nous avons alors découvert les secrets de sa vie. C’était la première fois depuis qu’il était installé ici qu’il voyait des marcheurs passés à côté de sa maison mais son projet d’aujourd’hui va dans ce sens. Il nous a expliqué qu’il aimerait beaucoup partager quelques ballades et des grandes discussions avec d’autres voyageurs qu’il l’aurait connu par le bouche à oreille. C’est d’ailleurs pour cela qu’il a construit la cabane, et qu’il y a mis une belle salle de bain avec l’eau chaude disponible à condition de mettre un peu de bois dans le poêle sous la citerne: pour pouvoir les accueillir dignement. Lui, il n’a besoin plus que d’un four à pain et d’agrandir un peu son jardin, et il peut vivre comme ça encore longtemps…